Notre gardien des sentiers
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Douglas Kennedy (Cet instant-là)
Ce matin-là, sous le soleil naissant du Maroc, j’explique au groupe, lors de notre petit déjeuner, que je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée de partir au galop aujourd'hui. Cela fait partie de l’intuition, de “savoir” les choses sans pouvoir expliquer la raison… et de fait.
Un peu plus tard, alors que nous nous préparions à nous élancer pour notre premier galop, nos chevaux sagement alignés en file indienne, respectant la distance de sécurité… soudainement surgit de nulle part… une mule! Complètement déchaînée et libre comme l'air !
Elle débarque inopinément dans notre petit groupe semant la pagaille parmi les entiers et de beaux fous rires parmi notre troupe…
Toute la matinée, elle nous a collé aux sabots comme une groupie persistante. Notre guide Ismaïl, le pauvre, a tout tenté : gestes énergiques, poursuite, cris, menaces... rien n'y faisait. Notre mule s’en allait pour revenir de plus belle: elle semblait avoir trouvé sa nouvelle famille et n'avait aucune intention de nous lâcher.
Ce n'est qu'en fin de matinée que Momo, notre deuxième jeune guide débrouillard, a réussi l'exploit de capturer notre fugueuse et de convaincre les habitants du village de jouer les baby-sitters pour notre nouvelle copine.
Mais l'histoire ne s'arrête pas là !
Dans le sillage de notre mule trottait un chien au pelage poussiéreux mais aux yeux brillants d'intelligence.
Personne n'aurait pu prédire ce qui allait suivre.
Sans invitation, sans hésitation, il a choisi de nous accompagner. Pas seulement pour quelques mètres ou quelques heures, mais pour toute l'aventure qui nous attendait. Kilomètre après kilomètre, sous la chaleur implacable de ce mois de mai, ses pattes ont épousé le rythme de nos chevaux. Quand nous avancions, il trottait à nos côtés. Quand nous nous arrêtions, il montait la garde, haletant mais déterminé.
Ce n'était pas un simple suiveur. Dès la première nuit, il a révélé sa vraie nature : celle d'un protecteur. Pendant qu’ Ismaïl dormait sous les étoiles, lui veillait sur nos chevaux. Les chiens errants qui rôdaient dans l'obscurité n'osaient plus s'approcher. Il avait établi un périmètre invisible mais infranchissable autour de notre petit groupe.
Jour après jour, son dévouement persistait. Il avait trouvé sa mission, sa famille, son sens. Nous, cavaliers de passage, étions devenus son univers.
Comment pouvions-nous dès lors l'abandonner à la fin de cette épopée ?
La réponse s'est imposée d'elle-même. Avec Ismail, notre guide au grand cœur, nous avons scellé un pacte. Ce chien extraordinaire aurait désormais un foyer à l'écurie, des repas assurés, des soins quand il en aurait besoin. Mais surtout, il garderait ce qui le rendait heureux :
accompagner d'autres cavaliers sur les sentiers de randonnées.
Aujourd'hui encore, quand une nouvelle randonnée se prépare, on peut le voir pointer son museau, la queue frétillante, prêt pour une nouvelle aventure. Il a trouvé sa vocation dans ces montagnes marocaines : être le gardien silencieux des cavaliers, l'ange gardien à quatre pattes qui transforme chaque périple en épopée inoubliable.
Certaines rencontres changent une vie. Parfois, c'est la nôtre. Parfois, c'est celle d'un chien errant qui a su reconnaître sa destinée au détour d'un sentier.
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